COHEN Laurent
Statut du soutien : actif
Bases cérébrales de la Langue française Parlée Complétée (LfPC)
Le projet du Pr Laurent Cohen, à l’Institut du Cerveau, à Paris, vise à comprendre la manière dont le cerveau traite la langue française parlée complétée (LfPC). Ce code gestuel, qui facilite la lecture labiale, n’a été jusqu’alors que très peu étudié. Ces nouvelles connaissances pourraient permettre d’améliorer l’enseignement de la langue française aux personnes sourdes ou malentendantes.
« Mes recherches portent essentiellement sur les mécanismes cérébraux de la lecture, explique le Pr Laurent Cohen, neurologue et chercheur dans l’équipe ʺPICNIC Lab - Neuropsychologie et neuroimagerie fonctionnelleʺ à l’Institut du Cerveau à Paris. La langue française parlée complétée m’intéresse car elle s’apparente à la lecture : ce n’est pas une langue en soi, comme la langue des signes, mais une manière visuelle de transmettre les sons de la langue française. » Le principe de la LfPC repose en effet sur des gestes précis de la main qui accompagnent la parole et correspondent à la phonétique. Le but ? Lever les nombreuses ambiguïtés de la lecture labiale. Par exemple distinguer « ba », « pa » et « ma », qui se confondent en lecture labiale. « Notre hypothèse est qu’il y pourrait y avoir à la fois des points communs et des différences dans la manière dont le cerveau traite cette information visuelle par rapport à la lecture classique. Cette dernière associe les aires visuelles du cerveau pour la reconnaissance des lettres et les régions cérébrales du langage pour la compréhension du sens. Quand la LfPC est utilisée, l’analyse du sens devrait faire appel au même processus. En revanche, le traitement visuel pose question : quelles sont les régions impliquées dans la reconnaissance de la forme de la bouche et des gestes ? Est-ce que ce sont les mêmes que pour la lecture des lettres, est-ce qu’on fait plutôt appel à l’analyse du mouvement ? »
Comment le cerveau décode-t-il la LfPC ?
Pour répondre à cette problématique, l’équipe va utiliser trois techniques complémentaires. L’IRM fonctionnelle d’abord, une technique d’imagerie qui apporte une bonne résolution spatiale en visualisant les zones cérébrales qui s’activent durant une tâche. « Nous tenterons de comprendre ainsi comment les informations fournies par la LfPC sont traitées par le cerveau, précise le Pr Cohen. Toutefois cette technique ne permet pas de capturer la temporalité des événements. C’est pourquoi nous faisons appel en parallèle à l’électroencéphalographie, qui présente une résolution temporelle suffisante pour enregistrer l’ordre dans lequel se produisent les activations. » Enfin, les chercheurs enregistreront aussi les mouvements oculaires : « La LfPC n’a été que très peu étudiée, nous déterminerons ainsi la manière dont le regard va chercher l’information entre la bouche et les gestes. » Et pour différencier les spécificités liées à l’apprentissage de la LfPC, trois groupes d’individus seront étudiés : des personnes sourdes ou malentendantes utilisatrices de LfPC, experts car souvent entraînés depuis leur enfance ; des sujets entendants naïfs, ignorants de la LfPC ; un troisième groupe « intermédiaire » avec des sujets entendants qui utilisent la LfPC pour des raisons familiales ou professionnelles. « Comprendre les mécanismes cérébraux mis en jeu par l’utilisateur de la LfPC sera intéressant pour la connaissance scientifique, mais aussi pour améliorer l’enseignement de la langue française aux personnes sourdes ou malentendantes. De plus, lors de la préparation de l’expérimentation, nous avons développé un outil d’intelligence artificielle pour étiqueter le moment où un mot et un geste sont présentés au sujet, une opération indispensable pour faire le lien avec l’électroencéphalogramme. En utilisant cette base, nous projetons de développer une application pour décoder automatiquement la LfPC qui pourrait aider les personnes sourdes ou malentendantes à communiquer. »