« Comme une sensation de liberté ».

Manon Altazin devant son avion
Accroche

Portrait de Manon Altazin, aviatrice ayant surpassé son handicap

Témoignages - Publié le 30/01/2018 - Mis à jour le 16/01/2021

Résumé

"Dépasser la différence"

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Lorsque Manon Altazin parle de sa passion, l’aviation ; son regard… s’envole. Jusqu’à l’âge de 14 ans, la jeune apprentie aviatrice pratiquait la gymnastique de haut niveau. « C’était ma passion, je n’ai pas supporté de devoir arrêter ».

Car voilà, Manon a une particularité, elle est née sourde profonde. 

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« J’avais trop de chocs pour la partie interne de mon implant, je n’ai pas pu continuer. Il me fallait faire quelque chose d’autre pour m’évader. »
Auteur
Manon
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Grâce à une connaissance de son père, Manon monte dans un avion à l’âge de 15 ans, pour ne plus jamais en descendre« Faire de l’aviation m’a sauvée – être dans les airs, c’est être libre. »

 

Grandir malgré la surdité

 

Dès sa petite enfance, les parents de Manon cherchent à comprendre son comportement différent des autres bébés. « Toute petite, on me faisait faire des tests ‘auditifs’ avec des jouets mais qui avaient des signaux lumineux ou des vibrations, ce qui fait que je réagissais. Cela ne servait donc pas à grand-chose… ». Cela explique que contre toute attente, cet ORL annonce aux parents de Manon… qu’elle entend !

Non satisfaits de ces résultats, ils continuent leurs recherches pour finalement apprendre grâce à un ORL parisien que Manon est sourde profonde, plongée dans un monde de silence.

Appareillée quelques semaines plus tard, Manon commence la prise en charge orthophonique et intègre des classes spécialisées jusqu’au bac.

« J’ai eu pas mal de problèmes avec mon implant cochléaire », raconte-t-elle. Implantée une première fois à l’âge de 8 ans, elle subit une deuxième opération suite à une panne de la partie interne. Entre-temps, Manon perd le peu de reste auditif de l’oreille gauche dû à une mauvaise prise en charge sur ses soins, ce qui la plonge dans un silence total à l’âge de 12 ans. A 15 ans rebelote, elle est à nouveau réopérée. « Depuis, ça va ! » dit-elle en riant.

Au collège, elle bénéficie d’une codeuse en LPC (Langue Parlée Complétée). Au lycée, la structure s’adapte : « Nous n’étions qu’entre sourds oralistes, dans des classes entre 4 et 7 élèves. Nous avons passé notre bac en 4 ans au lieu de 3, cela nous a permis de pouvoir bien recevoir le contenu pédagogique via la lecture labiale. »

Puis vient la galère : « En prépa, puis durant mes études de kinésithérapie, j’étais la seule sourde ! » déclare-t-elle avec le sourire. « Ça allait trop vite et c’était inaccessible. Le niveau était très élevé et le jargon purement scientifique. J’ai tout de même réussi ! ».

Voilà maintenant deux ans que Manon travaille dans un cabinet, près de Paris. « Mes rapports avec les patients sont excellents et naturels, c’est très rare que je doive expliquer comment communiquer avec moi. Je ne les préviens, pour la plupart, même pas de ma surdité. Ma voix fluette et la visibilité de mon implant leur mettent déjà la puce à l’oreille. »

 

Une passion aux nombreux obstacles

 

Sa passion pour l’aviation se développe en parallèle, malgré plusieurs obstacles qu’elle relève avec brio. « Ce fut compliqué quand même ; réglementairement, un sourd n’a pas le droit de piloter un avion pour des problèmes de communication par radio. » Résultat : Manon est suspendue pendant deux ans et doit passer des tests médicaux.

Citation
« C’était absurde : ils m’ont mis dans une cabine insonorisée pour que je répète ce que j’entendais dans le casque. J’avais beau leur dire que ça ne servait à rien, ils venaient me voir en me disant ‘Ben alors, pourquoi tu réponds pas ?’… »
Auteur
Manon
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Finalement, Manon a fait une demande de dérogation et peut désormais piloter seule dans les espaces aériens non contrôlés ou avec un pilote dans les espaces contrôlés« La devise de l’aviation est : ‘voir et éviter !’, je suis donc avantagée dans cette situation ! Je fais en sorte que la surdité ne m’empêche de faire quoi que ce soit », explique-t-elle. Il faut dire que Manon est bien entourée depuis sa naissance : « L’entourage, c’est très important. Quand je vois mes parents et ma grand-mère, ce qu’ils ont fait pour moi… Je leur tire mon chapeau. Il faut se battre tout le temps, ils ont eu des tonnes de refus, pour tout, tout le temps. Je n’avais même pas le droit d’aller à la cantine, soi-disant pour des raisons de sécurité ! »

 

Toi sourde, tu veux être kiné ?!

 

Quand on l’interroge sur ce qui manque pour les sourds en France, Manon n’a pas besoin de réfléchir longtemps. « Il faut une plus grande ouverture d’esprit, que ceux qui entendent écoutent nos besoins, tout particulièrement dans l’éducation et l’accès à l’information. Pourquoi faudrait-il partir loin de chez soi pour recevoir une éducation quand on est sourd ? Même en école de kinésithérapie en France, on m’a regardé de travers : ‘toi sourde, tu veux être kiné ?!’. Fort heureusement, la Belgique m’a permis de le devenir ! »

Grâce aux défis qu’elle a pu relever dans la vie, Manon affiche un grand sourire illuminant entièrement son visage quand elle parle des nouveaux projets qu’elle souhaite entreprendre. « Je vais traverser la France en vélo avec mon père cet été en hommage à mon petit frère également sourd, qui n’a pas eu de chance dans sa vie et qui n’a reçu aucune aide de la société. » Manon souhaite profiter de cette course pour sensibiliser les conducteurs vis à vis des cyclistes, notamment sourds, sur la sécurité routière. « Je souhaite aussi finir ma formation de pilote, terminer le 1er cycle de voltige aérienne et refaire ‘Rêves de gosses’ avec deux amis pilotes paraplégiques et un déficient capillaire ! ».

Rêves de Gosses, c’est une belle aventure humaine à laquelle participent « des enfants ordinaires et extraordinaires » qui apprennent à se découvrir et à accepter leurs différences. Ces enfants travaillent sur un projet pédagogique de six mois en amont du baptême de l’air qui leur est offert. L’an dernier, la Fondation Pour l’Audition a apporté un soutien à cette opération.

La vie terrestre et aérienne de Manon est donc bien remplie. Si l’engagement de sa famille à son encontre a été décisif depuis son plus jeune âge, elle semble bien décidée à rendre la pareille à ceux qui l’entourent, pour le plus grand bonheur de tous.